La prime au mérite : une fausse bonne idée ?

La grande réforme du secteur public attendue au premier semestre 2019 ne cesse de faire parler d’elle. Le 24 octobre dernier, le gouvernement réitérait ses velléités en faveur d’une individualisation des rémunérations des agents publics malgré les vagues de contestations des syndicats.  Ce sont cette fois les primes au mérite qui créent des émules : quelles sont ces collectivités qui s’y risquent ?

 

Les primes : corps étrangers à la fonction publique ?

 

Comment la fonction publique rémunère-t-elle ses agents ?

La rémunération des agents publics est constituée du traitement de base évoluant avec l’ancienneté et du régime indemnitaire qui représente près de 80 % de la rémunération des fonctionnaires. Cette variable résulte traditionnellement de l’application de critères obligatoires ne relevant pas de la performance individuelle contrairement au traitement de base.

Les primes au mérite ne constituent pourtant pas des ovnis de la fonction publique : un décret de 2014 introduit dans le calcul du régime indemnitaire des primes individuelles annuelles, qui sont estimées selon l’engagement professionnel et la manière de servir des agents publics.

Dans la pratique, quelques 10 % des fonctionnaires de l’État et 45 % des collectivités et établissements publics distribuent ces primes au mérite qui demeurent facultatives.

De nombreux agents ont également soulevé le manque d’objectivité pouvant résulter de l’octroi de ces primes : cela suppose la faculté, pour un supérieur hiérarchique, de « fixer des objectifs clairs, compris, évaluables et atteignables » estime le Président de l’association des directeurs généraux des communautés de France.

Conscient des faiblesses du régime mis en place et soucieux de pouvoir gratifier davantage l’investissement au travail de ses fonctionnaires, le gouvernement avait dans l’idée de dépêcher un groupe de travail pour remédier aux disfonctionnements rencontrés.

Certaines collectivités ont néanmoins bravé les intempéries et se sont lancées sans plus attendre le défi d’instaurer une prime au mérite.

 

La rémunération au mérite pour une « modernisation du cadre »

 

Cela fait déjà douze ans que la commune de Sélestat, petite ville du Bas-Rhin, a instauré la prime au mérite individuel.

La commune reconnaît que la mise en place des primes a fortement impacté la mobilisation des encadrants comme leur motivation. Et même si certains pointent encore du doigt les risques de perte de cohésion d’équipe, beaucoup s’accordent à dire que les effets restent positifs.

D’autres communes ont également fait ce choix, chacune appliquant des critères différents dans l’octroi des primes. Dans la Drôme, la ville de Romans-sur-Isère a préféré une prime d’intéressement à la performance collective prenant principalement en compte la satisfaction des usagers pour évaluer la qualité du service public. Le montant global sera entièrement distribué aux agents s’ils atteignent les objectifs fixés. En revanche, la prime diminuera progressivement jusqu’à disparition complète à partir, par exemple, de cinq absences.

 

Collectivité versus entreprise : la reconnaissance monétaire comme seul levier de motivation ?

 

S’opposant à la mise en place de cette prime, l’économiste Maya Bacache-Beauvallet dénonçait le manque de considération de la part des autorités du sens du travail, qu’elle estimait constituer un élément de motivation bien plus important que ne pourrait l’être un jour l’argent.

Les nombreux recours hiérarchiques à ce sujet permettent d’en douter : dans les Hauts-de-Seine en 2015, la ville de Suresnes (1000 agents) a compté une cinquantaine de recours hiérarchiques formés par des fonctionnaires insatisfaits de leurs primes.

Les primes au mérite rencontrent ainsi leurs limites. Outre les recours, elles connaissent des modulations difficiles : il n’est pas aisé de revoir à la baisse une prime.

Pour y remédier, certaines villes comme Suresnes ont introduit des gradations de prime, à la hausse ou à la baisse.

Du reste, la capacité financière des collectivités est généralement limitée par d’autres impératifs et certaines ont ainsi refusé la mise en place de primes au mérite pour éviter qu’elles ne se transforment en boîte de Pandore.

 

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