Une réforme de la fonction publique au service de l’emploi ?

Une réforme de la fonction publique au service de l'emploi ?

Le projet de loi de Transformation de la fonction publique continue de susciter des remous parmi les corps intermédiaires. Au cours du petit-déjeuner débat organisé par l’AATF et l’AMF le 3 avril dernier, Philippe Laurent et Luc Rouban (sociologue au CNRS et CEVIPOF) sont revenus sur une réforme considérée comme une boîte à outils au  potentiel très puissant, mais par ailleurs jugée dangereuse pour la libre administration des collectivités.   

 

Des critiques sur le fond comme sur la forme

La phase de concertation autour de la réforme de la fonction publique a connu de grandes difficultés notamment liées au retrait de certains syndicats des discussions. Mais également parce que les échanges entretenus entre le gouvernement et les corps intermédiaires peinent à porter leurs fruits.

« Pourquoi autant de hâte à l’adoption de ce texte ? » questionne très justement Philippe Laurent.

La réponse est liée à la préparation de la future réforme des retraites, qui nécessite une adoption de la loi de Transformation de la fonction publique en procédure accélérée, pratique courante depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Des inquiétudes subsistent du côté du gouvernement face aux réactions de certains parlementaires, y compris au sein de la majorité. Ce texte pourrait être amendé afin de libéraliser le statut, un scénario aux antipodes de la volonté initiale d’Olivier Dussopt.

 

Un changement de paradigme

Le texte dispose d’un haut potentiel en matière de diversification des carrières, tout en renforçant la fluidité des mobilités.

Luc Rouban souligne un projet dense modifiant le mode de fonctionnement de l’administration publique. Les cadres sont transformés en managers, la fonction publique sert l’emploi, la logique corporatiste est remise en cause jusqu’aux plus hautes fonctions d’encadrement…

La culture administrative française s’apprête à connaître de nombreux changements.

 

Qui seront les hauts fonctionnaires de demain ?

Le recrutement de contractuels aux fonctions d’encadrement déstabilise la fabrique à hauts fonctionnaires concentrée entre les mains de l’ENA.

À  l’heure où deux tiers des diplômés de Sciences Po se dirigent vers le privé, les étudiants souhaitant accéder aux plus hautes fonctions publiques pourront désormais faire le choix de les intégrer sans même passer le concours de l’ENA. Ce dispositif rompant avec la logique de corps renforcera-t-il les grandes écoles de commerce et Sciences Po ?  La question est très certainement légitime alors que la lutte contre le pantouflage est toujours d’actualité.

 

De futures ordonnances en attente ?

De nombreux points relevant du ressort réglementaire sont amenés à resurgir. L’article 22 du projet de loi fait référence à la possibilité de réformer la formation des agents par voie d’ordonnance dans un délai de 18 mois.

L’objectif consiste à s’aligner sur la réforme de la formation professionnelle dans le secteur privé du 5 septembre dernier en :

  1. Modifiant le financement des établissements publics concourant à la formation des agents publics (le CNFPT se trouve définitivement dans le viseur du Gouvernement)
  2. Harmonisant la formation initiale
  3. Développant la formation continue
  4. Renforçant la formation en vue de favoriser l’évolution professionnelle de certaines catégories d’agents

Face à une situation alarmante en pratique, il est indispensable d’améliorer la gestion des ressources humaines grâce à un suivi des agents et une anticipation des besoins de montée en compétences.

 

Favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles : une ambition inatteignable ?

Le président de l’AATF, Fabien Tastet, dénonce une problématique récurrente. Celle d’une fonction publique à deux vitesses dans laquelle se confrontent la fonction publique d’Etat et la fonction publique territoriale. En effet, si le projet de texte favorise la mobilité des fonctionnaires de l’Etat vers la FPT et la FPH, la situation inverse n’est pas envisagée.

Plusieurs membres de l’AMF et de l’AATF présents lors du petit déjeuner du 3 avril s’étonnent par ailleurs de l’instauration d’une rupture conventionnelle applicable aux contractuels et aux fonctionnaires.

Lorsque les fonctionnaires des trois versants de la fonction publique voient leur situation régie par un cadre légal et réglementaire, comment organiser une rupture conventionnelle liée à une contractualisation ?

La question des transitions professionnelles représente un enjeu fondamental lié aux transformations et réorganisations administratives actuelles. Au-delà de la création de dispositifs d’accompagnement RH des agents dont l’emploi est supprimé, le projet de texte mentionne la possibilité de mettre un fonctionnaire à disposition d’une structure du secteur privé. Le détachement de fonctionnaires sur des emplois privés consacre-t-il la privatisation de la fonction publique par l’emploi ? Serons-nous prochainement confrontés à une fuite des talents vers le secteur privé ?

 

Un mouvement de fond est aujourd’hui amorcé mais de multiples questions demeurent. Des réponses seront-elles apportées par le fruit du travail parlementaire ? Rendez-vous au mois de mai devant l’Assemblée nationale.