Élections municipales, réseaux sociaux et réserve de l’agent public

Les réseaux sociaux en ligne qu’ils aient une vocation plutôt amicale ou professionnelle ou bien qu’ils permettent d’émettre des opinions sur tous les sujets possibles sont un lieu d’expression au champ quasi illimité. Les likers, followers et « amis » « Facebook » du monde entier s’y côtoient et échangent des « post » dont la publicité est variable. Deux français sur trois en feraient usage. Pas étonnant donc que la communication politique s’y intéresse.

Réseaux sociaux et obligation déontologiques des fonctionnaires

Les agents publics, qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels, doivent faire un usage de ces réseaux conforme à leurs obligations déontologiques telles notamment que les obligations de neutralité et de réserve qu’il convient de soigneusement distinguer.

Dans le cadre de leurs fonctions, les fonctionnaires sont astreints à une obligation de neutralité tant politique que religieuse. Le prosélytisme dans l’exercice des fonctions, notamment dans le cas d’agents au contact du public, peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

Le fonctionnaire candidat aux élections

En dehors de leurs fonctions, les agents publics redeviennent des citoyens qui peuvent participer aux campagnes électorales et aux élections. Mais leur liberté d’expression n’est pas totale et trouve ses limites dans l’obligation de réserve.

Cette obligation, d’origine jurisprudentielle, ne figure pas dans le statut général de la fonction publique mais s’impose à l’agent public « bien qu’ayant agi en dehors des heures de service » (CE, 11 févr. 1953, Touré-Alhonsseini). C’est pourquoi il n’est pas interdit à un agent public d’exprimer des opinions politiques sur Facebook dès lors que ces opinions n’excèdent pas les limites de la polémique électorale et qu’il ne fait pas état de sa qualité d’agent municipal (CAA Nancy, 3 décembre 2015, n° 14NC02361, Cne de Saint-Avold). En revanche, il a été jugé que le fait pour un agent public de s’exprimer sur Facebook, même en dehors du service, en utilisant des termes injurieux pouvait porter atteinte à l’autorité territoriale et mériter une sanction disciplinaire (CAA Nantes, 21 janvier 2016, n° 14NT02263, X. c. Cne de Montargis).

Lorsque le juge administratif examine l’existence ou non du manquement à l’obligation de réserve, il utilise une grille de raisonnement fondée sur un certain nombre de critères. De la conjonction ou non de ces critères dépend la reconnaissance ou non du manquement au devoir de réserve. De manière non exhaustive, ces critères sont notamment les suivants :

  • La forme de l’expression : propos injurieux ou grossiers, diffamatoires, accusations ou critiques non fondées et excessives. Il peut s’agir aussi de l’accomplissement d’actes manifestant l’expression d’une opinion ou le fait de s’associer à une opinion émise par un tiers (attention donc aux « like » !)
  • Le fond des opinions émises ;
  • Le grade de l’agent : la jurisprudence est plus sévère et plus exigeante quant au respect de l’obligation de réserve pour les agents de catégorie A que pour ceux de la catégorie C ;
  • La nature des fonctions : les fonctionnaires relevant de corps et cadres d’emplois dont les fonctions les amènent à exercer des fonctions régaliennes et/ou d’user de prérogatives de puissance publique sont évidemment astreints à une obligation de réserve plus importante que les autres agents (CE, 23 avr. 2009, n° 316862, Guigue, Rec. CE, p. 165) ;
  • La publicité des opinions émises : l’intensité de la publicité des opinions émises par l’agent public est un critère très important aux yeux du juge : la nature des médias utilisés, leur audience peuvent parfois être déterminants à la fois pour décider de l’existence ou non d’un manquement à l’obligation de réserve mais aussi pour arrêter le quantum de la sanction disciplinaire à prononcer. Le juge tiendra compte du caractère public ou non des messages rédigés sur le réseau social et donc des paramétrages effectués par les utilisateurs pour communiquer avec tous les internautes ou seulement certains.

Enfin, un petit conseil à l’attention des timides : le fait de s’abriter derrière un pseudonyme ne suffit pas à s’exonérer de sa responsabilité surtout s’il apparaît assez simple de retrouver la véritable identité de l’auteur des propos/écrits/blogs (CE, 27 juin 2018, n° 412541).

En conclusion : en dehors du service, et a fortiori en période de campagne électorale, la communication politique des agents publics sur les réseaux sociaux en dehors du service est possible dès lors qu’ils n’utilisent pas les moyens du service, qu’ils ne font pas état de leur qualité et que leurs propos n’excèdent pas les limites de la polémique électorale.

Par Didier JEAN-PIERRE

Avocat associé – Cabinet Jean-Pierre & Walgenwitz

Professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille