Prise de parole en public : comment passer de la tartine à la plaidoirie enflammée ?

Les discours politiques ont mauvaise presse. Parfois perçus comme prévisibles, inutiles ou fallacieux, ils participent malgré tout aux temps forts de la politique et accompagnent (en principe) les actions publiques. Jean-Louis Debré évoque, à cet effet, que « les discours sont à la liturgie politique ce que les sermons sont aux offices religieux : indispensables »[i]. Si les discours sont si attendus et commentés, est-ce parce qu’ils véhiculent les convictions, les ambitions, mais aussi les idées neuves des politiques ?

Dans quel contexte s’inscrit le discours politique actuel ? 

Faire face à l’accélération du temps politique, à la dictature de l’instantané et à l’explosion des mouvements contestataires.

Une crise aux mille visages

La France traverse une crise sociétale profonde, violente, qui voit le tissu social se désagréger et le poids des institutions s’affaiblir, à l’heure où les Gouvernements tentent de faire émerger leurs nouveaux projets de société.

Il faut noter que le socle idéologique de la population française a évolué, que les dysfonctionnements de la démocratie représentative sont déclamés et que les mouvements contestataires sont en effervescence perpétuelle.

Il existe un clivage d’ordre social qui oppose les classes dites populaires aux élites (notion à géométrie variable regroupant les catégories socio-professionnelles issues du supérieur). Aussi surprenant que cela puisse paraître, les derniers mouvements sociaux que nous avons traversés font resurgir la théorie de la lutte des classes.

Cette situation sert de terreau à la parole populiste qui fait prévaloir la stratégie de l’émotion (le pathos) sur le logo. Le contexte sociétal vide aujourd’hui le projet collectif de son élan progressiste et de ses idées novatrices.

Alexandre Soljenitsyne, dans son discours du 8 juin 1978[ii], dénonce le fait suivant : « un Homme d’État qui veut accomplir quelque chose d’éminemment constructif pour son pays doit agir avec beaucoup de précautions, avec timidité pourrait-on dire. Des milliers de critiques hâtives et irresponsables le heurtent de plein fouet à chaque instant. Il se trouve constamment exposé, il doit justifier pas à pas ses décisions, comme étant bien fondées et absolument sans défauts ».

Dans ce discours, Alexandre Soljenitsyne décrit une société à l’arrêt, dans laquelle l’action politique est paralysée par un individualisme exacerbé et qui débouche sur un conformisme de façade.

« La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense face aux initiatives de quelques-uns. Il est temps, à l’Ouest, de défendre non pas tant les droits de l’Homme que ses devoirs ».

La légitimité républicaine en eaux troubles

Le climat de défiance qui s’est installé entre les gouvernants et les gouvernés a des effets dévastateurs sur chaque nouvelle proposition, qui est immédiatement perçue comme un appauvrissement des droits acquis.

Il est important de mesurer que la légitimité du pouvoir politique n’est pas acquise, alors même que le pouvoir établi est élu de façon démocratique.

La fonction de politique est, plus que jamais, associée à une élite de la Nation méprisante, qui ne comprendrait pas les classes populaires et ignorerait de facto leurs revendications. C’est pourtant de ce travail politique de représentation, d’incarnation, qui permettra de réaliser le nouveau projet de société projeté par les décideurs publics.

 

Entre repère et marqueur, quel est le rôle du discours politique ?

Le discours politique répond aux principes applicables aux théories de la communication. L’enjeu essentiel de tout discours politique persuasif repose sur la recherche de l’approbation du public vis-à-vis d’une nouvelle ambition ou d’une conviction.

La parole politique aplanit les conflits qui traversent notre société en faisant infuser des idées dans l’espace public, qui servent de base d’échange d’opinions, mais pas seulement. Comme évoqué au début de ce mot, les discours politiques rythment les temps forts de la politique, ils sont à la fois constitutionnalisés, attendus, voire espérés. Sans oublier qu’ils sont largement commentés, à la fois par l’opinion publique et par les médias chargés de les décrypter.

Le discours a évolué à travers les décennies. La professionnalisation de la fonction de politique a concomitamment fait émerger des techniciens spécialisés en communication, qui recourent désormais de façon usuelle aux études de marché et aux sondages d’opinion.

Jean-Louis Debré met en garde contre un discours politique uniquement destiné à animer une société du « spectacle » qui participe à désacraliser une fonction de politique qui a mis tant d’années à se professionnaliser.

Sonder, communiquer et séduire, ce triptyque demeure largement insuffisant pour faire face au contexte développé ci-dessus.

 

Comment transformer un discours en un « Grand discours » ?

Entre plaidoiries enflammées, réquisitoires passionnés et articulations de phrases tombant instantanément dans l’oubli, quelles sont les clés de voûte d’un discours percutant ? La préparation et l’écriture discursive contingenteront à coups sûrs la puissance de votre discours.

L’objectif est primordial 

Rédiger un discours sans avoir fixé d’objectif préalable est un discours voué à l’échec. Le message sera compliqué à comprendre et à intégrer par le public. Aussitôt récité, il sera oublié.

Au-delà de la maîtrise rhétorique et linguistique, définissez formellement les objectifs recherchés, le message à faire passer, puis structurez votre discours en fonction des temps forts que vous aurez déterminés.

Vous vous adressez à un public, tâchez de ne pas l’oublier

Ciblez dès le début le public que vous souhaitez toucher, en ayant à l’esprit que le processus discursif présente presque toujours une forte polarité. Vous aurez obligatoirement une partie de votre auditoire conquise et l’autre partie hostile. Il est conseillé d’adopter un style d’écriture pragmatique, en évitant les terminologies clivantes.

La stratégie de l’émotion ou l’art de créer un lien, de paraître plus humain et plus proche

Adaptez et mesurez la densité émotionnelle à distiller en fonction de l’empathie et de l’écoute nécessaires à la conquête de l’auditoire, en fonction de la situation dont la politique se réclame apporter la solution.

Le rôle des mots, des figures et des références dans le discours politique

De multiples paramètres doivent être pris en compte lors de la rédaction d’un discours : l’évolution et les dysfonctionnements de la société, l’Histoire, la culture, le droit en vigueur, les besoins et sentiments de la population et les sujets à polémique.

Comme le faisait très justement remarquer Jean-Louis Debré, le discours politique s’appuie de plus en plus sur « la force des mots, la puissance des formules et le sens du style ». La forme l’emportant sur le fond, certains négligent parfois la rationalité de leur logique argumentative.

La puissance discursive repose sur une culture et des racines idéologiques communes qui servent de support aux futures réformes et de véhicules dont les politiques sont le moteur.

Veillez à ce que le discours ne soit ni d’une technicité assommante, ni d’un simplisme élémentaire. Une connaissance approfondie du sujet est un impératif si vous souhaitez être crédible et emporter l’adhésion de votre auditoire.

Votre discours doit éveiller chez le public le désir de l’adopter peu importe son niveau d’hostilité initial.

L’intégration du discours

La population est soumise à un flux d’informations important et multi-canal qui permet à la population de construire son opinion, même si le traitement psychologique de l’information n’est pas aussi poussé que souhaité.

Il ne faut pas mésestimer la saturation mentale, l’intérêt parfois relatif, les connaissances, les a priori qui rendent le message inaudible. Toute la subtilité de l’orateur consistera ainsi à placer des indices pour que le public puisse plus aisément consommer l’information.

Comment augmenter son pouvoir de conviction ? Si le discours véhicule la pensée, parler en racontant une histoire est un excellent moyen de capter et de retenir l’attention afin de transmettre un message. Vous devrez alors vous reposer sur du concret, en n’hésitant pas à vous munir d’exemples, de comparaisons ou de références.

Adoptez et sauvegardez une tonalité modeste tout au long de votre discours. La population a les discours paternalistes en horreur. Le discours de la Reine Elisabeth II en 1957 dans une usine Jaguar avait semé le trouble au sein de la Monarchie (nous remercions les scénaristes de la série The Crown, créée par Peter Morgan pour cette piqûre de rappel).

Le discours est un art oratoire dont les effets et la puissance peuvent soulever les foules, dépasser les frontières, traverser l’Histoire. Tout dépend de la personnalité, du génie ou encore des événements à surmonter.

 

[i] DEBRÉ Jean-Louis, « Ces discours qui ont marqué la Vème République », Archidoc, p.1, 2019

[ii] SOLJENITSYNE Alexandre, « Le déclin du courage », discours prononcé à Harvard, le 8 juin 1978